La nation et ses mythes fondateurs
Reconnaître les mécanismes sociaux inconscients qui alimentent le sentiment national pourrait être salutaire pour le Québec
“ Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre dans le présent.
Dans le passé, un héritage de gloire et de regrets à partager, dans l'avenir un même programme à réaliser ; avoir souffert, joui, espéré ensemble, voilà ce qui vaut mieux que des douanes communes et des frontières conformes aux idées stratégiques ;
voilà ce que l'on comprend malgré les diversités de race et de langue. Je disais tout à l'heure : «avoir souffert ensemble» ; oui, la souffrance en commun unit plus que la joie. En fait de souvenirs nationaux, les deuils valent mieux que les triomphes, car ils imposent des devoirs, ils commandent l'effort en commun.”
Ernest Renan, Qu’est-ce qu’une nation ?, 1882
Et si le Québec faisait fausse route en s’appuyant exclusivement sur sa trame narrative historique actuelle ? Une histoire nationale qui tend à limiter l’expérience canadienne-française en Amérique à une lutte perpétuelle au sein d’un régime politique étranger duquel nous serions en attente d’une libération éventuelle.
Sans l’atteinte de cet objectif, point de salut, nous dit-on.
Ce focus sur la question constitutionnelle fait en sorte que des pans complets de notre héritage collectif sont écartés de nos souvenirs nationaux, pour reprendre les mots de Renan.
La leçon de Renan
Est-ce possible que l’angle mort du sentiment national et l’immobilisme collectif tel que vécu et articulé dans le Québec contemporain se retrouve dans le passage cité en introduction ?
La relecture de ce passage du célèbre texte “Qu’est-ce qu’une nation ?” du philosophe et historien Ernest Renan est particulièrement éclairant à cette fin car malgré la distance temporelle qui nous sépare de ces écrits, il nous est permis de s’en inspirer pour mieux cerner les ingrédients sociaux qui façonnent l’émergence et le maintien sur le long terme de communautés nationales, petites et grandes.
La vision de Renan demeure toujours pertinente près de 150 ans plus tard. D’autant plus que la nature humaine, vous en conviendrez, n’évolue pas au même rythme que l’innovation technologique qui nous entoure ces dernières décennies.
Ce texte nous rappelle donc de quoi est construit les mythes fondateurs qui animent et soutiennent la trame narrative des peuples. Ce qui lit des individus en communauté, et au-delà en nation, proviendrait autant sinon plus, selon Renan, de la souffrance commune que des victoires du passé.
Ainsi, en nous rappelant que les deuils valent mieux que les triomphes dans la constitution d’une âme nationale, Renan nous offre une intéressante grille d’analyse et un éclairage sur le contexte québécois.
À cet égard, j’ajouterais que lorsqu’un certain équilibre existe entre les éléments glorieux et les échecs, la projection d’un idéal commun dans le futur sera sans doute plus productif que la construction d’une identité nationale assise exclusivement sur les deuils et les ressentiments du passé.
Et c’est précisément sur point que le peuple québécois s’y perd à mon avis.
J’estime que le Québec moderne aurait intérêt à mettre de l’avant des événements positifs de son passé plutôt qu’espérer régénérer une renaissance populaire en jouant la carte victimaire de son statut politique ou de la perte éventuelle de la vitalité de sa langue.
Une position qui au final offre une dichotomie peu réjouissante; soit le repli ou la disparition.
À la fin mai 2022, le sociologue québécois Mathieu Bock-Côté partage le message suivant sur Twitter. Un message qui illustre magnifiquement bien comment les élites québécoises nationalistes les plus en vues sont motivés à donner un nouveau souffle au mouvement souverainiste en reprenant le même logiciel argumentaire ayant conduit le Québec dans une impasse dans le passé.
Le peuple québécois est-il vraiment disposé à jouer une fois de plus dans le même film politique ?
Conflit Canada-Québec: 2.0, 3.0… 4.0
Bock-Côté cherche clairement à profiter du débat acrimonieux sur la laïcité et la langue française avec le gouvernement fédéral canadien pour revigorer le schéma mental selon lequel le Québec ne serait qu’une victime qui devra se libérer éventuellement du joug colonialiste britannique.
Mais serions-nous devant un combat politique anachronique alors le régime canadien contemporain et le peuple qu’il gouverne ne correspondent en rien aux luttes des siècles passés ?
Si le Québec semble déboussolé quant à son avenir, c’est sans doute dû au fait qu’il fait fausse route quant à son récit et la transmission de ses mythes fondateurs. Depuis plusieurs générations, le Québec dépeint trop souvent sa nation sous l’angle du peuple conquis, méprisé, bref de l’éternel victime.
Même si c’est vrai à bien des égards, l’histoire du peuple québécois ne se résume pas à la Conquête.
Défaites après défaites, son élite s’ancre dans l’espoir que la prochaine “bataille” sera celle qui fera basculer l’histoire du peuple dans le camp victorieux. Hélas, cette victoire ne se matérialise jamais et voilà les citoyens replongés dans l’acceptation que le statu quo politique actuel serait inacceptable.
Pendant ce temps, ce discours tend à justifier un certain immobilisme généralisé.
Toute nation se construit en grande partie sur une base narrative, bâti sur des histoires communes, partagées et transmises d’une génération à l’autre, offrant ainsi une raison d’être à la collectivité. Si cette trame narrative donne une perspective négative du passé (et conséquemment de l’avenir), l’ambiance collective en sera résolument affectée.
Le Québec s’apprête donc, dans les années à venir, à rejouer un scénario politique qu’il maîtrise bien. Celui de ressasser entre-autre les mêmes velléités auprès de la minorité anglophone du Québec qui occuperait une position trop importante, sans compter son pouvoir d’attraction linguistique prédominant pour les immigrants.
Depuis la prise de pouvoir du présent parti politique à la tête du gouvernement québécois, la Coalition Avenir Québec, et la mise en application de nouvelles lois sur son territoire comme la loi sur laïcité et la dernière en date sur le renforcement des règles communes quant à l’utilisation du français dans l’espace public, particulièrement dans le milieu de travail, le Québec semble vouloir s’enliser dans la même philosophie politique qui le caractérise depuis fort longtemps.
Mais que retrouvait-on au delà de l’horizon indépassable de la survivance d’une communauté française sur le continent ?
Depuis des décennies, les élites nationalistes et souverainistes transmettent au sein de ses écoles, d’un grande partie de ses médias et de la culture au sens large la trame narrative selon laquelle les Québécois (sous-entendu les descendants canadiens-français) sont toujours victimes d’une perpétuation, sous une forme moderne, du colonialisme britannique.
Des truchements de la Nouvelle-France aux polyglottes du 21e siècle
Pourtant, le premier siècle et demi de colonisation française en Amérique du Nord est marqué par une soif d’apprentissage des différentes langues sur le territoire, d’efforts planifiés par les premiers colons (et ce, dès l’arrivée de Champlain) d’envoyer des émissaires, coureurs des bois et autres, afin qu’ils puissent apprendre les langues des populations locales.
Les premiers colons français ont marché le territoire, participé à cartographier le continent, négocié des alliances avec les premières nations, créé de nouvelles communautés métissées et partagé le territoire avec d’autres européens venus dans les siècles suivant.
Pour plus de détails sur la doctrine qui guida les premiers colons au Canada, voir le texte suivant:
Même l’histoire des Patriotes est analysé de nos jours avec des lunettes simplistes, en basse résolution, alors que ceux-ci, inspirés par des leaders Canadiens-Français comme Louis-Joseph Papineau, aspiraient à un idéal républicain tel que réussi par l’expérience américaine juste au sud des frontières quelques décennies au préalable.
D’ailleurs, le drapeau tricolore des Patriotes tient son origine, selon toute vraisemblance, dans la représentation des peuples qui ont fait force commune pour se libérer de la couronne britannique. Le vert pour les Irlandais, le blanc pour les Canadiens-Français et le rouge pour les Écossais et les Anglais.
Malgré ces faits oubliés offrant une perspective plus nuancée de l’histoire, de jeunes intellectuels comme Alexis Tétreault semblent incapable de voir au-delà d’une conception binaire de l’identité nationale où ses représentants devraient subir un test de pureté pour se proclamer de légitimes patriotes.
Voir l’exhibit A de cette conception ci-dessous:
“ Tes diplômes, ton bilinguisme sans accent, ta carrière auréolée de succès n’y changeront rien. Tu auras perdu une part de ton humanité et je me désolerai de te voir porter ta honte à la manière d’un « laissez-passer » de parvenu qui veut à tout prix rejoindre ceux qui l’ont tant méprisé pour ce qu’il ... était. “
Alexis Tétreault, doctorant en sociologie
Pour la totalité du billet d’Alexis Tétreault
L’exemple basque
Dans le cadre de ses multiples entrevues préparatoires pour son ouvrage “Voyage à l’intérieur des petites nations”, le journaliste Christian Rioux s’est entretenu avec une figure importante de la renaissance de la culture basque; l’écrivain et poète Bernardo Atxaga.
Les réflexions de l’homme au sujet du combat basque notamment au sein du régime espagnol de Franco force à l’introspection québécoise même si les deux luttes nationales diffère à bien des égard. La lutte armée basque en mode terrorisme intérieur pendant des décennies ne correspond aucunement au contexte québécois, si ce n’est que la brève période du FLQ (Front de Libération du Québec) autour de 1970.
Indépendamment de ces divergences, la cible de constituer un état-nation à part entière, pour les Basques ou les Québécois, ne représente pas l’unique destination en toute vraisemblance.
La langue basque était à toutes fins pratiques illégale pendant une quarantaine d’année en Espagne et les Basques ont malgré tout réussi un petit miracle depuis en intégrant par exemple une nouvelle génération dans un cursus scolaire basque ou à tout le moins bilingue.
Ceci dit, suite à des années de conflits, souvent armés, Atxaga avait la réflexion suivante en pensant aux plus fervents militants basques:
“ Il leur faudra apprendre le pragmatisme. Ce sera difficile. Il est toujours déchirant d’abonner le romantisme et les mythes de sa jeunesse.”
Et d’ajouter un peu plus loin dans la discussion avec Rioux:
“ Certains caressent encore le rêve d’un grand pays basque incluant la Navarre et le Pays basque français. C’est un anachronisme à la fin du XXe siècle. C’est une vieille conception agricole et militaire de la nation. Que signifie le territoire à l’époque d’Internet? ”
L’expérience basque, malgré les différences évidentes avec le parcours québécois, offre une leçon d’humilité utile.
À l’instar des Basques, une autre voie me paraît possible afin d’assurer une pérennité au peuple québécois et ne pas sombrer dans des cycles éternels de tractations politiques car le mouvement indépendantiste contemporain me paraît gangrené de ressentiment; une émotion malsaine pour un peuple qui se targue pourtant d’être un exemple de candeur et de joie de vivre.
Au lieu de s’apitoyer sur son sort et de combattre cet ennemi depuis longtemps disparu, transformé, pourquoi ne pas mettre l’accent et célébrer ceux qui ont mis au monde nos particularités dans l’expérience nord-américaine.
Les chaînes mentales sont parfois plus fortes que toute forme d’asservissement physique.
Ici, on confond malheureusement nationalisme et indépendantisme. Le Canada, ce pays voulu et fondé par nos ancêtres, deviendrait désirable si seulement les Québécois étaient plus sensibles aux autres Canadiens-Français, on parviendrait probablement à une proposition d'avenir emballante et inclusive.