La symbolique édulcorée de la Fête Nationale
Graduellement vidée de sa raison d'être au profit d'une fête civique plus inclusive, la Saint-Jean-Baptiste risque de retrouver à ce rythme ses origines paiennes: la célébration du solstice d'été
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Ce texte devait initialement être publié vers le début juillet, pour des raisons évidentes de proximité temporelle avec le sujet traité, mais plusieurs engagements professionnels ainsi que mes vacances estivales sont venus bousculer la planification de mon blogue. Quoi qu’il en soit, désolé pour ce délai et voici la dernière édition de l’Historien Nomade.
Alors que plusieurs régions du Québec ont encore une fois organisé cette année leurs festivités annuelles entourant la Fête Nationale, ou plus justement la Saint-Jean-Baptiste, le débat autour de la symbolique que devrait prendre cette célébration est reparti de plus belle parmi la classe politique, les chroniqueurs, et même certains artisans au coeur des célébrations.
Je vous épargne ici les détails des querelles insipides sur Twitter (maintenant X), les positions politiques mal avisées de certains artistes ainsi que les interprétations prévisibles de certains chroniqueurs, mais sans grande surprise, les éternelles questions qui entourent cet événement depuis le tournant du 21e siècle sont revenues dans l’espace public.
Est-ce trop (ou pas assez) politisé ? Sommes-nous assez inclusifs parmi les artistes invités ? Qui devrait animer les spectacles phares à Québec et Montréal ? Est-ce que l’événement est une simple promotion de l’indépendence ? Devrait-il y avoir des lectures de textes patriotiques ? Et j’en passe, et j’en passe.
À force de se poser toutes ces questions sans réellement y répondre et de vouloir épargner les sensibilités de tous et chacun, on en vient à oublier et évacuer la nature même de la Saint-Jean-Baptiste.
Son histoire.
Sa raison d’être.
Bien que celle-ci était effectivement de nature païenne à la base, lorsque les Français notamment, célébraient le solstice d’été à cette période de l’année, cette fête devint graduellement plus religieuse au fil du temps lorsque la figure de Jean-Baptiste y fut associé. D’ailleurs, cette tradition fut même présente dans les débuts de la Nouvelle-France au 17e siècle sous sa forme essentiellement spirituelle. Plus tard, au 19e siècle, une connotation plus politique s’y est greffé dans les années menant aux rébellions de 1837-38 par l’influence notamment d’un certain Ludger Duvernay.
Donc contrairement à ce qui circule fréquemment dans le Québec moderne, la facette disons politique de la Saint-Jean-Baptiste n’a pas été introduite seulement dans l’histoire récente par les nationalistes du Parti Québécois. Même si ceux-ci ont effectivement donné une charge politique plus intense à cette célébration entre les années 1970 et la fin du 20e siècle alors que le mouvement indépendantiste atteignait un certain paroxysme, il n’en demeure pas moins que la politisation de l’événement est plus profondément ancrée et s’inscrit dans une plus longue tradition.
N’oublions pas que jusqu’à tout récemment, la Saint-Jean-Baptiste avait pour les Canadiens-Français une signification mixte politico-religieuse. Ici, il faut considérer l’aspect politique au sens large, soit l’assise ou plus précisément le contrat social de la communauté culturelle. À savoir qu’à défaut de contrôler un état-nation propre à eux, assurer la survivance linguistique, confessionnelle et culturelle a donc constitué la fondation de plusieurs actions sociales. Le réseau étendu de sociétés Saint-Jean-Baptiste, même jusqu’en Nouvelle-Angleterre, contribuant fortement à ce lien culturel.
Selon l’interprétation que vous souhaitez en faire, on pourrait même se questionner sur l’impact que cette juxtaposition du monde temporel et spirituel, si présente dans l’imaginaire des Canadiens-Français (surtout de la 2e moitié du 19e siècle aux années 1960), aurait encore aujourd’hui dans la culture canadienne-française.
D’ailleurs, ces liens forts unissant le peuple Canadiens-Français a longtemps persisté dans la diaspora en Nouvelle-Angleterre, agissant à toute fin pratique comme un frein à une rapide intégration de ceux-ci au débat et à la vie démocratique américaine.
À cet égard, dans son ouvrage Tout nous serait possible, Patrick Lacroix écrit:
“ Malgré les efforts des élites franco-américaines, la classe ouvrière était encouragée à garder un pied au nord de la frontière. Du Québec leur venait un discours de rapatriement et de colonisation; on continuait à se rapatrier quelques semaines à l’été et parfois au cours des Fêtes pour voir parents et amis.
Les migrants (parfois ces mêmes parents et amis) arrivaient toujours, leur servant aussi de lien au pays d’origine. On recevait les évêques et les prêtes québécois. (…)
Il était donc ici un peuple mû par une réalité économique, guidé par ses liens culturels plutôt que par les tracés géopolitiques.”
Patrick Lacroix, Tout nous serait possible, 2021
Saint patron des Canadiens-Français
D’autre part, au risque d’en froisser certains, cette fête s’est développée historiquement comme une célébration d’une communauté ethnique et culturelle bien précise. Et alors ?
Comme la Saint-Patrick pour les Irlandais, la Saint-Jean-Baptiste était indissociable des Canadiens-Français. Et la majorité des peuples et communautés culturelles entretiennent encore aujourd’hui, de générations en générations, des célébrations particulières.
De constater que plusieurs souhaitent assister à la métamorphose de la Saint-Jean-Baptiste en une sorte de fête “multicolore” soulignant essentiellement une appartenance à une entité administrative politique provinciale qu’est le Québec aujourd’hui est plutôt risible lorsque l’on y réfléchit vraiment.
À vouloir tout célébrer en même temps, on fini par ne rien célébrer du tout. Soit on maintien cette tradition plusieurs fois centenaires, soit on cesse l’hypocrisie et on met un terme carrément à ces festivités dénudés de toute symbolique profonde. Même si la dimension confessionnelle n’en fait plus partie depuis longtemps, pour des raisons évidentes, il serait dommage de dénaturer complètement l’événement.
Honnêtement, c’est à se demander si le célèbre discours de Jacques Parizeau suivant la défaite référendaire en 1995, sur l’argent et le vote ethnique, aurait eu un impact plus durable que prévu sur un certain sentiment de culpabilité au sein du peuple. Au final, c’est sans doute un facteur parmi tant d’autres mais cette célébration ne porte clairement plus la même signification que jadis.
Plusieurs au sein de la société québécoise ont souhaité (ou prophétisé même) une fin de la fameuse question nationale et de l’organisation des forces politiques autour de cet enjeu. Constatant la lente agonie des deux partis poltiques traditionnels qui se sont confrontés pendant une cinquantaine d’années sur ce terrain (Parti Libéral et Parti Québécois), certains se réjouissaient - sans doute un peu prématurémennt - de la montée dans l’espace public d’une confrontation plus “classique” de type gauche-droite.
Malheureusement pour ceux-ci, l’histoire du Québec ne nous laisse aucune indication que les clivages de la société s’articuleront autour d’un axe gauche-droite à la Française par exemple. Et il est fort probable que le statut culturel et politique ambivalent du Québec demeure une constante dans le paysage pour le futur également même si les sociétés Saint-Jean-Baptiste n’ont plus l’influence du passé.
J’en discutais d’ailleurs en novembre dernier sur le podcast ci-dessous:
Retour sur octobre 1995
Le 30 octobre 1995, j’avais à peine 20 ans. Je participais à un programme d’échange culturel hors du commun avec des Canadiens de partout au pays et un groupe d’Indonésiens. Ce programme d’une durée de six mois, financé par une agence gouvernementale fédérale dédiée au développement international, m’amena à vivre une expérience personnelle et culturelle des plus intenses, dont la moitié se déroula sur l’île de Java en Asie du sud-est.
En cette journée d’octobre, je venais d’exercer pour la 2e fois seulement mon droit de vote, cette fois en faveur de l’indépendance du Québec, après avoir participé à remettre le Parti Québécois au pouvoir l’année précédente. Comme plusieurs de ma génération, ce vote nous semblait tout naturel dans le contexte politique de l’époque.
Ce même soir, je visionnais et suivais avec intérêt la soirée référendaire aux côtés d’une Albertaine, d'un Javanais, d’une Franco-Ontarienne, d’un Balinais, d’une Néo-Écossaise et d’une Sumatranaise dans le sous-sol d’une famille d’accueil de St-Raymond de Portneuf.
Vous vous doutez sûrement des discussions animées avec les compatriotes canadiens et de nos invités asiatiques qui vivaient avec les locaux un des moments politiques les plus importants de la courte histoire post-Confédération du Canada.
Avec le recul, je prends toute la mesure du contexte particulier dans lequel j’ai vécu ce moment critique pour l’avenir du Québec. Avoir vécu cette campagne référendaire dans de telles circonstances m’a poussé forcément à une certaine introspection, étant inévitablement confronté aux questionnements des autres participants.
Mais indépendamment de mon expérience personnelle, ce qui est frappant de cette époque, est qu’il était encore possible de séparer nos motivations politiques du reste de notre vie et de la qualité des relations que nous avions avec ceux qui nous entouraient. Et personne ne remettait en question les distinctions ethniques et culturelles entre nous. En fait, le but était justement de confronter et d’apprendre de ses différences.
D’ailleurs, le reste du programme s’est déroulé sans aucune animosité entre les Canadiens malgré ce vote critique du 30 octobre.
En 1995, l’émancipation politique de ma patrie me semblait inévitable et souhaitable. “Dans le sens de l’histoire” pour paraphraser Jacques Parizeau, premier ministre du Québec à l’époque. Une étape logique pour se sortir d’un état, le Canada, construit sur de mauvaises fondations et difficilement gouvernable.
Mais le peuple en a décidé autrement, donc que faire maintenant.
Quelques décennies plus tard, j’ai le sentiment que d’avoir délaissé collectivement cet espace de célébration et de fierté propre aux Canadiens-Français n’a fait qu’accentuer une dérive vers un nationalisme revanchard. J’ai écrit sur le sujet dans le passé mais je pense qu’il est nécessaire de poursuivre la réflexion.
Le ressentiment actuel de plusieurs compatriotes envers un soit-disant colonialisme anglais persistent est malsain et me fait souvent penser à une certaine mouvance afro-américaine, incapable d’ajuster leur interprétation à la réalité contemporaine.
Par exemple, dans le contexte américain, certains vont même jusqu’à réclamer des réparations financières pour la période esclavagiste. Une frange du nationalisme québécois agit de façon similaire envers les colonisateurs britanniques et c’est à se demander si certains nationalistes ne seront pas tentés de proposer des revendications similaires dans le futur.
Cette question en est pratiquement une de moralité en réalité. Devrait-on punir les descendants des propriétaires de plantation du sud des États-Unis ou même ceux qui auraient simplement un lien racial ? En serait-il de même pour les descendants des colonisateurs anglais au Québec ? Que devrait-on faire maintenant, se venger ?
Ai-je vraiment besoin de répondre ?
En conclusion, même si le Québec sera possiblement contraint de composer pendant une période indéterminée avec un régime politique qu’il n’aura jamais dessiné ou façonné complètement à son image, personne ne peut rembobiner le fil de notre histoire. N’empêche, il y a des façons à mon sens de maintenir des traditions de manière positive pour se souvenir du chemin parcouru par nos ancêtres, et la Saint-Jean-Baptiste en est un exemple parmi d’autres.
Très bon texte 👍