La Grande Illusion
Même si la révolution tranquille a sorti le Québec de la Grande Noirceur, un fond du récit national de l'époque hante toujours son positionnement politique actuel
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Maintenant que j’ai capturé votre attention avec ce titre (et sous-titre) - qui j’en conviens peu sembler un peu fort de café - je vous pris de me suivre jusqu’à la fin de ce court texte pour en comprendre le sens ainsi que les raisons qui m’amènent à ce constat.
Le 2 mars 2022, le Bloc Québécois (parti politique fédéral indépendantiste implanté exclusivement au Québec) a déposé à la Chambre des Communes d’Ottawa une motion demandant essentiellement une garantie de maintien du pouvoir québécois au sein du gouvernement fédéral dans le cadre d’un redécoupage imminent de la carte électorale qui réduirait à terme le poids politique du Québec.
À intervalles réguliers, soit à tous les dix ans, les circonscriptions électorales canadiennes sont modifiées en fonction des résultats du dernier recensement; donc de l’évolution démographique du pays et de la répartition de la population sur le territoire. Et comme le poids démographique du Québec poursuit sa décroissance constante dans le Canada (voir tableau ci-dessous), son poids politique - c’est-à-dire son nombre de députés au sein de la chambre en proportion des autres provinces - en sera donc conséquemment diminué.
Dans ce contexte, plutôt que de prendre acte d’un état de fait indéniable et d’accepter les règles démocratiques les plus élémentaires en terme de représentativité parlementaire, des élus du parti indépendantiste québécois implorent un changement aux règles du jeux, ou à tout le moins, exigent qu’une exception soit faite pour sauvegarder le pouvoir de la nation québécoise au sein du Canada.
Au lieu d’accepter cette tendance démographique, qui effectivement a un impact politique négatif pour le Québec, une partie des élites nationalistes de la province a fait le choix de demander au reste du pays de protéger son pouvoir politique, au détriment des autres provinces, sur un principe non-officiel et auto-proclamé de droit acquis, de caractère distinct, de préservation politique d’un des peuples fondateurs ou je ne sais quoi d’autre.
Un des députés du Bloc Québécois a même fait, avec confiance et un brin d’arrogance, cette déclaration plutôt surréaliste:
« À chaque fois, c’est la même chose; on prétend reconnaître le Québec comme une nation, mais on ne se gêne pas pour diminuer son nombre de sièges ensuite. On ne peut pas réduire le poids politique d’une nation à une simple équation mathématique. »
Luc Thériault, député du Bloc Québécois
(Pour en lire davantage, voir Luc Thériault dans Plume Libre)
Même si la passion du député est indéniable, dois-je lui rappeler que l’amour de la nation sans levier ou reconnaissance politique réduit la situation effectivement à une simple équation mathématique. Si celui-ci souhaite avoir un minimum d’honnêteté intellectuel, en quoi le Québec devrait-il avoir ce privilège dans la gestion du découpage des circonscriptions ?
Est-ce garantie dans la Constitution ? Non.
Est-ce qu’il s’appuie sur entente signée par une majorité des provinces ? Non plus.
Soyons clairs. La politique, dans nos démocraties libérales, ne peut s’exercer sur la base de bons sentiments ou de souhaits, légitimes ou non, d’un peuple en attente de son idéal national. Le fardeau repose largement sur les épaules du Québec qui devrait plutôt prendre des actions concrètes afin de maintenir une dynamique démographique positive et d’être attrayant vis-à-vis ses voisins sur la continent. Nous verrons plus tard que c’est loin d’être le cas, et ce, depuis fort longtemps.
D’ailleurs, ce même phénomène de redécoupage est valable aussi aux États-Unis alors que des états comme New York et la Californie vont perdre des élus à la Chambre des Représentants au profit d’états du sud comme le Texas, l’Arizona et la Floride suite aux migrations internes importantes d’une partie de la population depuis début 2020.
Pour des députés comme Thériault, le fait que le Québec représente une nation distincte au sein du Canada devrait lui conférer de facto l’équivalent d’une clause grand-père pour la représentativité politique au parlement, nonobstant le fait que la province n’a jamais négocié ce type de garantie.
Autrement dit, de la pure politique fiction.
D’autant plus que le rapport de force actuel des Québécois dans la fédération canadienne n’est plus à la hauteur de ce qu’il a déjà été. La sécession ne constituant plus une menace sérieuse à l’unité canadienne suite aux échecs référendaires de 1980 et 1995.
Cet événement, somme toute secondaire, dans la vie politique actuelle imprégnée de débats sur les mesures COVID, de gestion de l’inflation ou de positionnement quant au conflit en Ukraine, est passé sous les projecteurs des médias. Pourtant, celui-ci mérite à mon sens que l’on s’y penche davantage car il est plutôt révélateur d’une conception historique du Québec teintée de vieux réflexes du Canada français. Le Canada français longtemps animé d’une mission providentielle de colonisation de son territoire et véhiculé avec convictions par les représentants de l’Église catholique.
Bien qu’involontaire un demi-siècle après la Révolution Tranquille, l’aspiration politique de certains nationalistes québécois me semble inconsciemment interprétée à travers ce prisme. Lire ici une représentation du monde partagée par un peuple pendant plus d’un siècle, à partir des décennies suivant la révolte avortée des Patriotes en 1837-38, et où l’Église a largement été sous l’influence d'une mouvance appelée l’Ultramontanisme.
Comment interpréter autrement des gestes comme celui du Bloc Québécois récemment alors que ceux-ci semblent investis d’une mission où toute confrontation au réel est inutile ?
Dans l’extrait ci-dessous, la sociologue Geneviève Zubrzyck résume clairement l’état d’esprit qui régnait au Québec à l’époque ou le politique et l’Église gouvernaient main dans la main:
“ Selon le récit véhiculé par l’Église (…), les Canadiens français forment un peuple apostolique choisi, dont la mission providentielle repose sur les deux piliers que sont la foi et la langue.
La langue française et la foi catholique distinguent et, en dernière analyse, protègent les Canadiens français des “races étrangères” qui peuplent le continent, tandis que l’interdiction des mariages mixtes les prémunit contre l’assimilation linguistique.
En se fondant les unes dans les autres tout en se renforçant mutuellement , la foi, la langue et l’ethnicité en viennent progressivement à définir l’identité nationale. Cette dynamique est exprimée dans un récit messianique cohérent et représentée dans la figure évocatrice de saint Jean-Baptiste.”
Geneviève Zubrzycki, auteure et sociologue
La destinée manifeste
Par la description qu’en fait Zubrzycki ci-haut, on est frappé par la terminologie et les concepts utilisés. On remarque clairement ici qu’il s’agit de l’équivalent d’une destinée et d’une vision prédéterminée de l’avenir. Tout comme le Manifest Destiny des Américains, le Canada français n’était pas en reste avec sa propre version d’une légitimité d’occupation et de croissance sur le territoire, sous bénédiction divine.
Si cette doctrine encouragée par le clergé avait comme socle à l’époque la religion catholique et la langue française, les doléances d’apparence séculaire d’aujourd’hui, même en ayant poussé le catholicisme sous le tapis, ont tout même retenu une forme de fanatisme; conservant d’une part la sauvegarde à tout prix du français et en y greffant d’autres idéaux du moment qui seraient unique au Québec.
Pensons par exemple au message souvent véhiculé par ces mêmes nationalistes que le Québec serait la seule province “verte” au pays et soucieuse de l’environnement.
La Grande Illusion est donc ce déni collectif, que ce qui a caractérisé le Canada français pré-1960, influence toujours les moeurs politiques contemporaines. Pour ceux qui souhaitent plus de détails sur cette période charnière du Québec, voir les liens pour la Grande Noirceur et la Révolution Tranquille.
La saignée démographique
Si on revient aux tendances démographiques lourdes à long terme, la situation est tout de même embarrassante considérant que les choix du Québec - ou du moins le déficit structurel de son attrait - participent directement à son affaiblissement dans la confédération canadienne:
Son solde migratoire interprovincial est déficitaire depuis des décennies (voir tableau ci-dessous).
Ses règles d’admissions plus strictes - liées à la langue - limitent l’immigration internationale en comparaison avec le reste du Canada.
Son taux de natalité, dans la moyenne canadienne, ne comble pas les effets négatifs des points précédents.
Au-delà du demi-million de citoyens que le Québec a perdu au profit des autres provinces depuis la décennie 1970 et afin de mesurer toute l’ampleur de l’impact négatif de l’émigration sur le développement et le poids politique du Québec, nous devons remonter également aux décennies 1870 à 1920 où près d’un million de personnes ont fait le choix de quitter la province vers les états limitrophes du nord-est américain. Il s’agit d’une véritable saignée démographique considérant que la province a pratiquement perdu le tiers de sa population à l’époque.
Les familles nombreuses, la précarité, le manque de terre et d’emplois de qualité sont les principales raisons expliquant cet exode massif fin 19e, début 20e. Bien sûr, plusieurs sont revenus après avoir momentanément améliorés leur sort économique, notamment dans les usines de textiles comme à Lewiston, Maine ou Lowell, Massachusetts, mais la majorité n’a jamais remis les pieds au Québec. Aujourd’hui, il y a près de deux millions de descendants Canadiens français en Nouvelle-Angleterre.
Au final, la démographie fera l’histoire et l’avenir du Québec n’y fera pas exception.
Que faire alors de cette Grande Illusion, ce Grand Voile ?
Une première étape serait de reconnaître que la révolution tranquille n’a pas chassé, nettoyé la totalité du récit national qui a caractérisé le Québec pendant si longtemps. Oui, les Québécois auront déserté la pratique religieuse à vitesse grand “V” mais d’autres idéaux issus des mouvements sociaux-démocrates des années 1960 auront vite été érigés en vaches sacrées, créant ainsi un nouveau voile.
Et malgré les nombreux aspects positifs découlant de la sécularisation des institutions au départ, l’angle mort aura été une certaine conception naïve de cette transition. Car même si dans le discours collectif officiel, la religion est belle et bien absente, dans l’inconscient collectif, un fond semble toujours bien présent.
Les élites nationalistes peuvent bien continuer à nier le réel, il m’apparaît évident que tant que les Québécois n’évacuerons pas de leur psyché collective la victimisation comme peuple jumelée à un mode de pensée trop ancré dans la survivance, leur avenir politique et culturel ne pourra déboucher vers autre chose que du provincialisme meurtri.
Et potentiellement, comme par le passé, d’un exode graduel de sa force vive…
J’ai essaye de lire sans la traduction mais n'a pas tout fini! Je continuerais d’essayer 😝
Excellent texte !