Québec 2022
Une campagne électorale à l'image des débats sociaux courants: gangrenée d'idéologies, de mimétisme et de fausses vertus
À la première ébauche du présent texte, mon intention était de faire un état des lieux des forces en présence parmi l’offre politique actuelle au Québec. De profiter de la campagne électorale pour donner du relief aux programmes des partis, d’analyser l’évolution historique du paysage politique et de faire une mise en contexte sur le long terme en intégrant l’impact des cycles générationnels sur ce qui pourrait nous attendre au cours des prochaines années.
Bref, je souhaitais m’en tenir à la raison d’être principale de ce blogue, soit d’offrir une profondeur historique aux événements contemporains.
Après tout, le contexte y est particulièrement favorable. Les lignes de fractures sont clairement différentes des cycles électoraux précédents, l’offre politique se répartie dorénavant parmi cinq partis politiques qui recueillent au minimum 10% des intentions de vote selon la moyenne des derniers sondages et il y a rarement eu un clivage aussi prononcé entre les générations (voir le tableau ci-dessous pour en mesurer l’impact par vous-mêmes).
Ceci dit, en cours d’écriture, j’ai changé d’idée et réorienté mes intentions pour cet article.
Bien que tous ces éléments demeurent valables en toile de fond, il reste qu’au bout de quelques semaines à lire les journaux, écouter les chefs de partis et suivre les analystes politiques sur l’élection de 2022, une frustration continuait de m’habiter sur le niveau abyssal du débat public.
Mon sentiment est loin d’être une nouveauté, j’en conviens, mais nous semblons avoir atteint un nouveau plateau. Surtout quand chaque plateforme est présentée sous le prisme d’une quasi-crise existentielle; apocalypse environnementale pour certains, suicide linguistique et collectif ou encore inégalités et injustices sociales inégalées dans l’histoire pour d’autres. Sans oublier la sauvegarde de nos institutions démocratiques.
En somme, nous serions plongés dans une sorte d’élection de la dernière chance où, par notre vote le 3 octobre 2022, nous aurions entre les mains les clés pour assurer la survie de la planète, la pérennité de la nation, la solution aux discriminations multiples et le maintien de la démocratie, rien de moins.
L’hyperbole à son meilleur.
En écoutant les principaux acteurs de cette campagne, le passage suivant du philosophe Michel Onfray me revenait constamment en tête:
“ Méconnaître l’histoire c’est être inculte en tout, quoi qu’on sache. Car, ne pas savoir mettre en perspective les connaissances dont on dispose, c’est ne disposer d’aucune connaissance. On se condamne à la généralisation, à l’essentialisation, au discours général, à l’idéalisme, à l’idéologie, en un mot: à la moraline qui empêche tout travail généalogique.”
Michel Onfray, philosophe, Théorie de la Dictature
En des moments de débats publics plus actifs comme c’est le cas en pleine campagne électorale, il est désolant de constater à quel point cette citation de Michel Onfray capture l’essence de l’espace intellectuel, médiatique et politique qui nous entoure. Nombreux sont les sujets abordés au cours du mois dernier, multiples sont les questions posées par les journalistes aux candidats, qui manquent cruellement de sens des proportions, de perspective historique ou de nuances.
Analyser la société par mimétisme, comme la confrérie de journalistes le fait trop souvent, en catégorisant comme le font leurs collègues d’étiquettes maladroites certains mouvements socio-politiques contemporains aux ramifications complexes, c'est méconnaître l’histoire, sombrer dans le discours général et propager des faussetés simplistes. (Voir mon dernier essai en anglais pour plus à ce sujet)
Ne plus mettre en perspective des événements météorologiques extrême, comme des vagues de chaleur ou des ouragans, en tentant systématiquement d’associer ces phénomènes aux changements climatiques, c’est aussi mettre l’histoire au placard, se condamner à l’idéologie et refuser le débat sur un sujet qui ne fait consensus que dans la sphère d’activistes politiques, et non parmi les scientifiques et experts du sujet.
Le réchauffement constaté depuis le début de l’ère industriel est factuel, certes, mais ne constitue pas une question de survie ultime pour l’être humain comme plusieurs colportent en toute impunité. Même les rapports du GIEC fréquemment cités par les vulgarisateurs scientifiques ne sombrent pas dans ce délire complètement déconnecté des réalités physiques. Il faut le répéter et refuser de jouer dans ce film de la fin monde. Comme le reste, rien n’est blanc ou noir. Il faut s’ouvrir et suivre entre-autres les travaux de Michael Schellenberger, Alex Epstein, Bjorn Lomborg, pour ne nommer que ceux-là, pour se donner la perspective nécessaire sur ces enjeux d’énergie, d’innovations et d’environnement (voir quelques liens ci-dessous).
Le manque d’humilité et de professionnalisme de la classe médiatique lorsque de nouvelles informations viennent remettre en cause un événement rapporté précédemment, comme l’histoire des lieux de sépulture non marqués dans les écoles résidentielles autochtones du printemps 2021, c’est également méconnaître l’histoire et se laisser entraîner dans l’idéalisme et la “moraline” comme le décrit Onfray.
Et pourtant à ce sujet, le journaliste canadien Terry Glavin a bien démontré dans son article du 26 mai 2022 dans le National Post que la grande majorité des médias internationaux, y compris le New York Times, se sont fourvoyés sur cette histoire de fosses communes de premières nations. C’était faux, simplement faux.
L’histoire, telle que racontée au printemps 2021, colle tellement bien au narratif contemporain que bien peu de professionnels des médias ont le courage d’y apporter les nuances nécessaires à posteriori.
Avez-vous été témoins de corrections ou de mea culpa de la part des principaux médias ? Pas vraiment. Et dire que nous avons eu droit à de multiples minutes de silence et de séances de culpabilisation collective, notamment dans les amphithéâtres canadiens de la LNH au printemps 2021.
Cette tendance est nuisible au débat public car comme le disait si bien ce même Glavin dans une entrevue avec la journaliste Bari Weiss de Common Sense récemment:
“ … la relation entre les autochtones et les peuples de descendance européenne au Canada est déjà remplie d’histoires terribles, inutile d’en inventer pour sensibiliser les gens sur ce sujet.”
Québec 2022
Malgré ses revendications fréquentes de société distincte, le Québec n’échappe pas (quoique bien souvent à retardement) aux mouvements sociaux de fond des sociétés occidentales. Et une de ces tendances est justement cette simplification à l’extrême des enjeux de société où chacun aurait à choisir un camp, parfois de manière caricaturale, alors que la réalité est bien souvent complexe.
Au final, que ce soit en matière d’environnement, d’immigration, de développement économique, de gestion du territoire, d’énergie, d’éducation, d’institutions démocratiques, et j’en passe, résistez à la polarisation et revendiquez simplement le droit de ne pas tomber dans l’hyperbole et l’exagération.
Car quoiqu’il arrive le 3 octobre, respirez par le nez. Je vous annonce sans trop de risque que ce ne sera pas l’élection de la dernière chance, et ce, sur aucun des enjeux.
À propos de la classe politique, je vous laisse sur cette citation du linguiste Claude Simard tirée du documentaire Post-Mortem réalisé par Francis Denis et présenté par Libre Média:
“ Quand vous regardez la classe politique actuelle, autant au fédéral qu’au provincial, vous êtres déconcertés devant la piètre qualité de ces gens. Leur manque de vision, leur incapacité à s’exprimer par exemple.
Moi je trouve que nos deux premiers ministres sont des gens très ordinaires, vraiment médiocres à mes yeux. Je suis un peu honteux lorsqu’ils vont à l’étranger car ils me représentent.
(…) on n’a plus ces personnes fortes, intellectuellement fortes, culturellement fortes.”
Claude Simard, linguiste et didacticien du français, professeur retraité de l’Université Laval