Une lecture de l'histoire en basse résolution
Combiné à une tendance contemporaine de sentiment de supériorité morale envers les générations précédentes, notre perception historique en devient caricaturale
“The farther backward you can look, the farther forward you will see”
Sir Winston Churchill, homme d’état britannique
En s’auto-proclamant comme des citoyens plus vertueux que toutes les générations nous ayant précédées, certains observateurs politiques, académiques et médiatiques actuels ne semblent plus motivés à contextualiser l’histoire.
Même si l’interprétation de celle-ci comporte forcément son lot de subjectivité, certains faits demeurent et ceux-ci doivent constituer le socle de toute analyse crédible des événements du passé.
Le vieil adage, jadis partagé par tous et si bien résumé par Churchill ci-dessus, qu’il faut savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va, semble d’une pertinence renouvelée en cette époque de remise en question perpétuelle de nos moeurs et nos valeurs communes.
Ce questionnement va même jusqu’à remettre en question notre légitimité d’occuper un territoire donné, ce n’est pas anodin.
Dans un climat caractérisé par l’absence quasi-permanente de réelle perspective historique détaillée dans le débat public, s’impose donc une lecture froide et honnête de notre passé. À défaut de quoi s’installera une incapacité à comprendre véritablement d’où l’on vient.
Les concepts de territoires non cédés et de racisme systémique sont sur toutes les lèvres au Québec depuis le tournant des années 2020. La réconciliation avec les premières nations passeraient impérativement par la reconnaissance de ces concepts.
Même si l’intention première semble noble et pavée de bonnes intentions, il n’en demeure pas moins que si l’on se précipite dans une vision à “basse résolution” des événements du passé, c’est-à-dire dépourvue de nuances, de détails et de complexité, on s’expose d’un côté à des erreurs historiques graves, et de l’autre, de tomber dans un sentimentalisme malsain et non productif.
De toute évidence, il y a clairement un malaise de société autour de cette tendance à l’auto-flagellation et la culpabilité qu’on nous invite à ressentir collectivement.
Une certaine spirale du silence s’enclenche alors au fil du temps alors que la majorité des citoyens en viennent petit à petit à ne plus oser s’opposer à ce mouvement, de crainte d’être perçue comme une personne intolérante.
Alors qu’en est-il réellement ?
L’histoire et le sort des premières nations en Amérique serait-il à ce point singulier ?
Les inégalités observées de nos jours s’expliquent-elles par une seule variable, le racisme ?
Poursuivons donc notre réflexion sur le sujet et explorons d’autres éléments afin d’augmenter justement la “résolution de cette image”.
L’histoire est tragique
Soyons clair. L’histoire avec un grand H, est bel et bien tragique.
Et oui. Ce point me semble indisputable.
Effectivement, des populations se sont imposées à d’autres au cours de l’histoire; militairement, culturellement, démographiquement, certes.
Si nous pouvions reculer les pendules, revenir quelques siècles en arrière, chacun voudrait sans doute en modifier une partie, réécrire un pan de l’histoire pour en épurer les aspects les plus meurtriers, discriminatoires, injustes.
Mais comme nous le rappelle Jean-François Lisée dans Le Devoir du 21 octobre 2021:
“ Pourquoi les quelques dizaines de milliers d’Autochtones présents sur le territoire du Québec à l’arrivée de Champlain, eux-mêmes descendants de populations asiatiques, détiendraient-ils, pour l’éternité et bien au-delà des traités signés, des droits territoriaux sur un espace quatre fois grand comme la France ?
L’histoire du monde entier n’est que transhumance et brassage de populations. Tenter de redonner des droits territoriaux aux tout premiers occupants de Londres, de Rome ou de Katmandou dépasse l’entendement.
Pourquoi l’Amérique devrait être, sur la planète, l’exception ?
Sur le chemin de ce qui a été non cédé, on trouve l’essentiel des peuples du monde.”
Si de simples constats - comme ceux rapportés par Lisée - ne peuvent être acceptés de tous, il n’est pas étonnant que nous ne puissions plus entretenir des conversations posées sur ces sujets.
La tendance révisionniste actuelle basée uniquement sur les émotions vives n’éclaire en rien notre passé et ne participe pas à la nécessaire alliance entre les peuples.
D’autre part, dans le contexte spécifique nord-américain, il faut rappeler que les différentes colonisations européennes ne se sont pas toutes déroulées suivant une doctrine unique et l'histoire de l'Amérique française en particulier ne se résume certainement pas à un long pillage des terres autochtones et l’instauration prémédité d’un régime discriminatoire sur le territoire.
La doctrine de Champlain
David Hackett Fisher, grand historien américain, nous a offert un ouvrage magnifique sur la vie de Samuel de Champlain et de ses motivations profondes.
De ses origines à Brouage en Charente-Maritimes, à ses expériences militaires en France au beau milieu d’une guerre civile de nature religieuse, à ses multiples allers-retours entre la France et le Nouveau-Monde, à ses tentatives échouées d’établir une colonie dans les Maritimes actuelles et jusqu’à ses nombreuses négociations avec l’administration française pour financer ses voyages, Fischer nous expose les événements marquants qui ont façonné le fondateur de Québec.
Sa vie est particulièrement fascinante et singulière. Mais ce qui est le plus marquant chez l’homme, c’est sa vision de cette Nouvelle-France qu’il tente de fonder. Champlain n’est pas l’européen raciste, imbu de lui-même, avare de ressources et de pouvoirs, comme on dépeint généralement de manière caricaturale tous les explorateurs et premiers colons arrivés en Amérique du Nord du 16e au 18e siècle.
Au contraire, fort de son vécu trouble au milieu d’une guerre de religion sanglante en France à la fin du 16e siècle, lui exposant les facettes les plus sombres du tribalisme chez l’être humain, Champlain a plutôt cherché à connaître davantage les peuples qu’il a rencontré sur le territoire dès le 17e siècle et faire alliance. À cet effet, Fischer écrit:
“ This war-weary soldier had a dream of humanity and peace in a world of cruelty and violence. He envisioned a new world as a place where people of different cultures could live together in amity and concord. This became his grand design for North America.”
David Hackett Fisher, historian
Les valeurs fondatrices et la vision de Champlain, tel que décrit par l’historien Fischer, ont de quoi surprendre dans le climat antagoniste actuelle mais offre un éclairage nécessaire à notre histoire. Quoi qu’on en pense en 2021, c’est l'héritage d'ouverture du Champlain qui imprègne toujours une partie de nos moeurs quatre siècles plus tard. Pour la théorie du péché originel dans l’occupation du territoire par les descendants français, on repassera.
Bien entendu, tout n’est pas rose dans notre histoire mais il est faux de prétendre que les politiques coloniales britanniques, portugaises, espagnoles, hollandaises et françaises sont tous identiques.
Au début du 17e siècle, les Algonquiens ont combattu aux côtés de Champlain et d’un petit groupe de Français lorsqu’ils ont repoussé les Iroquois près du lac portant désormais son nom au sud de la frontière américaine actuelle. Une alliance parmi tant d’autres entre les premières nations et les premiers colons sur le territoire.
Des comparables qui se retrouvent difficilement dans l’histoire coloniale espagnole et britannique.
La politique de l’image
Et la Loi fédérale sur les Indiens elle, on la réforme, on l’abolie ?
Inutile de rappeler que cette politique de création de réserves et de statut juridique différent pour les premières nations est issu du régime britannique.
À ce sujet, silence radio de nos élites politiques actuelles alors que ce serait le point de départ d’une véritable réconciliation quant à nos relations avec les premières nations. Par lâcheté ou manque de courage, la classe politique semble s’adonner qu’à des activités superficielles de messages de reconnaissance ou de séances photos dans la pure tradition du politiquement correct.
Ci-dessous, le sarcasme à peine voilé de Serge Bouchard, anthropologue et grand défenseur de ses amis les Indiens (expression provenant de Bouchard lui-même), en dit long sur les positions de façade adoptées par l’intelligentsia canadienne actuelle, préoccupée davantage par l’image qu’elle projette plutôt que les actions concrètes découlant de leur discours public.
“ L’histoire aura eu raison de moi, aura eu raison de nous. Ils sont bien disparus ces Sauvages et ces Indiens, jetés à la fourrière des mots honnis, conspués. On les a changés en pensant changer le monde. Ne dites plus ceci ou cela, le problème s’en trouvera résolu - car nous savons tous qu’il est beaucoup moins aveugle, le non-voyant, comme elle est beaucoup moins infirme, la personne à mobilité réduite. Il semble bien qu’il soit beaucoup moins indien, l’Autochtone.”
Serge Bouchard, anthropologue
À mon sens, la véritable solution ne réside certainement pas en faisant porter l’odieux d’un régime politique du 19e siècle sur les épaules des citoyens du 21e. Il faut recommencer à se parler franchement, sans à priori et avec ouverture, en examinant froidement notre passé tout en étant conscient que le film de l’histoire ne peut être rembobiné et rejoué.
À force de ridiculiser les sciences sociales, en les qualifiant péjorativement de sciences “molles” au sein de la société civile, nous avons graduellement réussi à mépriser l’importance d’avoir ce que l’on appelait jadis une culture générale.
Cette culture générale qui nous permettrait sans doute aujourd’hui d’avoir une masse critique de citoyens avec suffisamment de perspective historique pour contenir la tendance de l’interprétation uniquement émotive du passé.
En son absence, nous sommes vulnérables aux influences d’idées parasitaires teintées d’idéologies.
L’avantage non préméditée
Au-delà de tout ce qui a déjà été dit, nous avons à peine abordé les tendances lourdes (démographiques, géographiques,…) ayant eues un impact non négligeable sur le déroulement de l’histoire des peuples.
Jared Diamond, auteur du classique Guns, Germs and Steel, nous offre un portrait non complaisant, recherché scientifiquement et surtout absent d’idéologies sous-jacentes sur les raisons concrètes expliquant pourquoi certains peuples ont eu des avantages circonstanciels sur d’autres.
Sans aller dans les détails, nommons quelques éléments abordés par Diamond comme étant des facteurs déterminants dans le développement rapide de la civilisation européenne notamment:
le climat favorable
La domestication facile des types de céréales et animaux sauvages présents sur le territoire
l’orientation est-ouest du continent ayant facilité le transfert des pratiques agricoles
Ces éléments, parmi d’autres, ont permis une sédentarisation plus rapide et prospère des populations européennes.
L’évolution démographique impressionnante des villes qui s’en est suivi a également eue un effet double :
une mortalité importante liée à des vagues successives de virus dû à la proximité des animaux et des humains.
sur le long terme, les populations qui ont survécus aux pestes et autres pathogènes ont pu développer une protection immunitaire durable face à ces virus.
Bref, une fois au Nouveau-Monde, ces populations européennes avaient donc un avantage circonstanciel. Il est nécessaire de se rappeler qu’une énorme proportion des premières nations ont succombé aux contacts de ces maladies et ce, sans dessein machiavélique.
Les analyses gavées de lyrisme qui utilise une seule variable comme le racisme pour expliquer la totalité d’un phénomène est l’équivalent de publier une bande dessinée pour élaborer une thèse complexe sur les fondements de la moralité chez l’humain.
C’est évidemment plus complexe. Ça demande d’augmenter la résolution, d’analyser dans le détail et d’être conscient de la multitude de variables expliquant l’évolution de nos civilisations.
Ce court essai n’a pas la prétention de couvrir la totalité de ces variables mais souhaite amorcer un éclairage sur un sujet aujourd’hui épineux. Surtout, il ne faudrait pas rejeter toute autre forme d’influence dans notre société comme le hasard, la géographie, les différences technologiques, la démographie, et j’en passe.
En conclusion
Notre lecture des événements glorieux et tragiques parsemant notre parcours commun en Amérique doit impérativement se cadrer dans les moeurs, le contexte de l’époque et les éléments sous-jacents ayant influencés le cours de l’histoire.
À savoir également que les principes et les valeurs qui soutiennent nos démocraties libérales actuelles n’étaient pas autant développés au 17e-18e siècle.
Que les peuples autochtones rencontrés par les Européens ne formaient pas des collectivités pures et sous gouvernance utopique tel que représenté parfois de nos jours.
Que tous les peuples de la terre, depuis que l’Homo Sapiens a sorti de l’Afrique, se sont battus pour survivre, se reproduire et prospérer.
Que les différentes nations autochtones combattaient férocement entre eux sur le territoire américain, pillaient leurs voisins, avaient des pratiques de torture, etc.
Bref, l’histoire n’est pas simplement déterminée par le jeu d’oppresseurs versus des opprimés et cette grille d’analyse ne peut expliquer à elle seule notre situation actuelle.
Le chemin parcouru jusqu’ici ne pouvant être emprunté à rebours, tâchons de regarder vers l’avant avec optimisme et ouverture en ayant pleinement conscience de notre passé.